Tout est parti d’une info donnée par le site internet fafwatch, mardi 14 mai.
On y apprenait que « Les “Hammerskins” français projettent d’organiser le prochain meeting européen du mouvement Hammerskin Nation à proximité de Perpignan le samedi 18 et dimanche 19 Mai 2013. L’élite des néonazis européens a donc rendez-vous en Languedoc-Roussillon, pour 2 journées de haine. Au programme : réunion des cadres et membres du mouvement, rapport d’activité, concert RAC et ratonnades… »
http://fafwatch.noblogs.org/
Jeudi 16 mai, La Clau publie un article titré : « Perpignan : un meeting néo-nazi alerte les autorités ». Il est très largement inspiré par le site fafwatch qui n’est pourtant pas cité. La Clau a ajouté un peu d’ambiance. Elle indique que ce rassemblement « inquiète au plus haut niveau les services discrets et place en alerte rouge les forces de sécurité. » La Clau a du trouver que le programme de la manifestation n’était pas assez animé, elle l’a donc un peu pimenté : « Ces festivités aryennes doivent s’accompagner de séquences de tir ». C’est totalement invraisemblable. Mais pas pour La Clau.
Le même jour, quelques heures plus tard, France Bleu Roussillon s’empare du sujet dans un papier titré : « Un rassemblement néo-nazi ce week-end près de Perpignan ». Là encore et de toute évidence, toutes les infos sortent de fafwatch, site auquel il n’est toujours pas fait référence. « Tout ce que l’on sait, c’est que plusieurs militants devraient arriver par l’aéroport de Perpignan, depuis toute l’Europe, mais l’heure d’arrivée reste inconnue. » Comment la rédaction de France Bleu peut-elle être aussi certaine que des militants vont arriver à l’aéroport de Perpignan ? Auprès de qui a-t-elle vérifié l’info donnée par fafwatch ?
Vendredi matin L’Indépendant annonce à la une : « P-O : les néo-nazis d’Europe attendus ». Le quotidien a-t-il plus d’info que ses confrères ? Non, c’est toujours le même refrain : « Des skinheads et néo-nazis venus de plusieurs pays d’Europe doivent se rassembler demain et dimanche dans le département ». Les auteurs de l’article F. Michalak et J.M.S indiquent en conclusion que les rencontres annoncées sont : « Souvent délocalisées, voire annulées, par leurs instigateurs. Il n’en est pour l’instant pas question dans les P-O. » On a le droit de sourire. Le quotidien ignore fafwatch, c’est pourtant sur ce site qu’il a capturé l’affiche du concert qu’il utilise en illustration.
Samedi, nouvelle une de L’Indép. En page 3, « l’Indépendant se penche sur le programme de ce rassemblement européen et sur les branches françaises et locales de ces groupuscules qui sont attendus ce week-end dans le département. » Une interview documentée de Nicolas Lebourg, universitaire perpignanais, spécialiste de l’extrême-droite, mais pas de nouvelles infos sur le rassemblement néo-nazi.
Dimanche, le sujet n’est pas à la une, mais il occupe presque toute la page 2 qui titre « Rassemblement néo-nazi, ultra-discret ou délocalisé hors des P-O ? » Comme il ne s’est rien passé dans les P-O, il est temps de commencer à être prudent.
L’Indép a pourtant traqué le néo-nazi. Il publie une photo prise sur un parking où l’on voit deux jeunes hommes de dos qui semblent parler à une ou plusieurs personnes qui sont dans une voiture. Légende : « Hier matin, un petit groupe échangeaient discrètement des informations sur un parking d’Argelès. » Ils échangaient des informations sur quoi ? Sur la meilleure adresse où manger des tapas ? Peut-être sur le lieu du rassemblement néo-nazi. Mais comment le photographe a-t-il pu le savoir ? La réponse est dans l’article : « Les individus vus face à la plage de Canet vendredi soir ou à Argelès-sur-Mer hier matin ne portaient pas la “ panoplie “ du parfait néo-nazi. Logique quand on préfère passer inaperçu. Mais certains signes distinctifs, notamment des codes vestimentaires discrets, permettaient de les lier aux mouvements en question. De quoi accréditer l’hypothèse d’un rassemblement catalan, mais limité aux responsables des différents groupuscules néo-nazis. » Un article qui aurait put être signé « De notre envoyé spécial Jean Saisrien ».
On suppose que les jeunes hommes photographiés portaient des perruques, car leur coupe de cheveux n’est pas celle en vigueur chez les jeunes néo-nazis. Frédérique Michalak ne donne pas d’indication sur les codes vestimentaires des jeunes photographiés à Argelès. Portaient-ils des vêtements de marques prisées des skins, Lonsdale, Fred Perry… ? Pas mal de jeunes qui savent que ces marques sont connotées les adoptent pour se donner un genre. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que des jeunes qui s’habillent ainsi, on en croise tous un peu partout. Contrairement à ce qu’écrit F. Michalak, il n’y a pas là : « De quoi accréditer l’hypothèse d’un rassemblement catalan » de néo-nazis. Le résultat auquel abouti cette chasse aux néo-nazis est limite inquiétant.
La rareté de l’information et l’impossibilité de la vérifier aurait du conduire la presse locale à faire preuve de prudence. De beaucoup de prudence. Rien ne permettait d’affirmer qu’un rassemblement de néo-nazis allait avoir lieu dans le département. La course à l’info spectacle a pris le pas sur la nécessité de fournir au lecteur, à l’auditeur, au téléspectateur une information fiable. Nous avons ces derniers jours été en contact avec des confrères qui, comme nous, ont été sidérés par l’emballement de la presse locale. Et surtout par son ampleur.
Plusieurs rédactions ont pris une grande liberté avec les faits. Certaines plus que d’autres. Ce manque de rigueur n’est pas un accident. Il est même habituel. C’est la routine et c’est la maladie chronique de notre presse locale. Ce sont ces mauvaises habitudes qui ont rendu possible cet énorme dérapage médiatique. F.T.
PS : Le rassemblement annoncé dans les P-O s’était déroulé pendant quelques heures, dans la nuit de samedi à dimanche, à Caussiniojouls, à 27 km de Béziers. Dès jeudi, une info invérifiable mais plutôt bien sourcée indiquait que la manif des radicaux de l’extrême-droite se tiendrait du côté de Béziers.