Nos relations avec Olivier Ferrand n’ont jamais été simples. Avec les hommes politiques c’est toujours compliqué si l’on considère que son rôle de journaliste n’est pas d’être porte micro ou porte stylo, ne se limite pas à recueillir leurs propos sans regarder ce qu’il y a derrière.
Nous n’avions pas été convaincu par le discours qu’Olivier Ferrand avait servi à la presse sous les platanes de Céret, une belle fin d’après-midi d’été de 2006. Il disait revenir dans les P-O parce qu’il en était tombé amoureux en 1995. Un territoire qu’il avait découvert en venant faire son stage de l’ENA auprès de Bernard Bonnet, alors préfet des Pyrénées-Orientales. Nous n’attendions pas d’Olivier Ferrand qu’il nous dise la vérité toute crue et que ce jour-là, il explique à la presse qu’il ne serait jamais revenu dans les P-O si Paris ne lui avait pas donné l’investiture du PS dans cette circonscription depuis des décennies acquise à la gauche. On aurait apprécié que le jeune haut fonctionnaire justifie sa candidature avec des arguments à la hauteur de sa très grande intelligence.
Interrogé par le magazine La Catalane, il répondait : « Vous savez, j’étais élu à Paris et je pouvais continuer ma carrière tranquillement. Je m’entends très bien avec Bertrand Delanoë, ma carrière élective, je l’avais. Mais j’ai choisi volontairement de revenir dans le sud. » Il revenait dans le sud, mais sans quitter Paris. Avait-t-il démissionné de son mandat de maire adjoint du troisième arrondissement qu’il négligeait à présent ? Non. Mais il promettait de venir s’installer ici avec femme et enfant.
A partir de juillet 2006 et pendant un an, Olivier Ferrand a, sourire aux lèvres, labouré la vallée du Tech du jeudi au dimanche soir. Les autres jours, il était à Paris au siège du P.S. où à son travail à l’inspection des finances à Bercy, qui lui laissait pas mal de temps libre. Le parachuté essaya d’amadouer le tout puissant leader du PS avec des déclarations flatteuses. « Christian Bourquin est le grand homme du département », déclara-t-il lors de sa première conférence de presse. Bourquin le désigna plus d’une fois comme un intrus qu’il fallait chasser et il se faisait fort de faire partir « le coucou avant Noël ». A un journaliste qui l’interrogeait sur le comportement hostile de Christian Bourquin, le Parisien répondait, « Que voulez-vous ? Ce n’est pas très agréable pour moi, mais Christian Bourquin est dans son rôle. C’est le chef des socialistes du département. Il a défendu avec l’énergie qu’on lui connaît le candidat de la fédération, son ami, son vice-président du conseil général, Pierre Aylagas. »
Avec Georges Frêche à Visa pour l’image : « Ici les parachutés on les tire en plein vol ». Au second plan, les deux complices d’Olivier Ferrand dans les P-O, Michel Cavallier et Jean Bigorre.
Ses supporters, comme Brigitte Chemarin, qui n’était pas encartée, mettaient l’accent sur sa compétence. « Sa candidature est une alternative à l’immobilisme, au clientélisme. Il a une connaissance des institutions, des circuits de décision que personne n’a ici. Il n’est pas d’ici, bon, Léon Blum n’était pas de Narbonne. C’est une chance pour notre département qu’il se présente chez nous. » René Ala, ambassadeur de France, maire d’Arles-sur-Tech, appuyait sa candidature : « C’est un excellent candidat, jeune, sympathique, dynamique, intelligent. Il se passionne pour l’arrière-pays. Il est prêt à s’investir à prendre nos dossiers, à les monter et à les défendre à Paris où il a beaucoup de relations et de réseaux. »
Olivier Ferrand a, dès le départ, mis en avant son cursus, ses relations comme pouvant être des atouts pour la circonscription. Il se proposait de multiplier les rencontres avec tous les acteurs afin d’élaborer des propositions pour la circonscription et cela dans tous les domaines. Un an plus tard, sur son site internet, toutes les rubriques de son projet législatif étaient, sauf une, la catalanité, totalement et désespérément vides. Qu’avait-il fait de cette « matière grise » qu’il avait tout au long de la campagne présentée comme étant sa « plus-value » ?
N’est-ce pas là que le jeune énarque a manqué son rendez-vous avec les électeurs ? Porteuse de projets, en particulier en matière économique, domaine dans lequel il soulignait en permanence, chiffres à l’appui, le sous développement des territoires de la quatrième circonscription, sa candidature aurait certainement rencontré un meilleur accueil. Lors de sa dernière apparition devant la presse, quelques jours avant le premier tour, il sortit de son chapeau le projet de réaliser au large de Port-Vendres, la première installation de production d’énergie marémotrice de la Méditerranée. Ce n’était qu’une idée dont la faisabilité n’avait pas été étudiée par des spécialistes. Il a, pendant un an, plusieurs jours par semaine, parcouru la circonscription dans tous les sens, uniquement pour serrer des mains. Les Catalans n’avaient pas besoin de lui pour faire ça. Il a aussi surestimé l’impact des visites de soutien de Michel Rocard, de Dominique Strauss-Khan, de Lionel Jospin… Les P-O n’avaient pas vu autant d’éléphants depuis le passage d’Hannibal !
A Céret, à la fête de la cerise avec Lionel Jospin et Jean Codognès.
« Vous m’avez sur le dos pour trente ans », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse. Mais son comportement et son manque d’investissement contredisaient ses belles paroles. Il a récolté ce qu’il a semé. Le 10 juin, au soir du premier tour, il était terriblement déçu. Le candidat investi par le PS ne rassemblait que 15,25% des suffrages et il était devancé par Pierre Aylagas, 17,92%. Eliminé, Olivier Ferrand était très amer. Les jours suivants, le ton de ses déclarations n’était plus du tout le même. Il dénonçait le clan Bourquin et son système « dont on voit tous les méfaits d’abord en terme de moralité publique. » Il dénoncera « les méthodes de basse fosse » des socialistes locaux qui se sont opposés à sa candidature. Rappelant qu’il venait de Marseille, il déclarera : « Le système clientéliste a ici été porté à un niveau d’intensité, d’agressivité que je ne connaissais pas ailleurs. »
Si l’on en juge sur les capacités et le potentiel à porter et défendre les dossiers et projets de la circonscription à Paris, Olivier Ferrand était incontestablement, et de loin, le meilleur candidat. Le travail et les relations d’Henri Sicre avaient été décisifs pour obtenir les crédits et les collections pour ce musée d’art moderne sans lequel Céret n’aurait pas son rayonnement.
Grosse pointure, Olivier Ferrand avait fait HEC et l’ENA. Il avait étudié le monde de l’entreprise et il évoluait dans la haute administration. Il avait une carte de visite et un carnet d’adresses bien rempli. Evoluant depuis plusieurs années dans les allées du pouvoir et les plus hautes sphères de l’Etat, il connaissait les circuits et il aurait su se faire ouvrir les portes. S’il s’était durant l’année précédant le scrutin complètement investi pour faire sortir des projets de développement, il aurait fait une démonstration de sa capacité, ce qui lui aurait permis de devancer Pierre Aylagas. Olivier Ferrand a été desservi pas son sentiment de supériorité et la conviction que pour gagner, il suffisait de passer de la pommade à tout le monde. Mais il aurait été élu député de la quatrième circonscription si Christian Bourquin qui éprouve le besoin maladif de contrôler son monde en installant des affidés aux postes de responsabilité ne lui avait pas fait barrage en soutenant la candidature d’un dissident, celle de son ami Pierre Aylagas.
Délaissant les P-O, Olivier Ferrand laissera courir les rumeurs sur une éventuelle candidature aux élections municipales. La presse locale en profitera pour lancer toutes sortes d’infos non vérifiées. Un jour, on l’annonçait sur la liste d’Amiel-Donat, un autre sur celle d’Alduy. Il sera finalement candidat aux côtés de celui qui avait été son suppléant, René Olive, à Thuir. Il se retrouvera troisième maire adjoint chargé de l’urbanisme et de l’économie et vice-président de la Communauté de communes des Aspres présidée par René Olive.
Elu fantôme, Olivier Ferrand n’a siégé que trois fois au conseil municipal de Thuir. Il a été présent à la première réunion du conseil, le 27 mars 2008, puis à la suivante le 24 avril. Le 25 juin et le 29 juillet, il n’était pas là. Il fait son retour le 8 octobre et on ne l’a jamais revu. Lors de la réunion du 20 octobre 2010, René Olive informa le conseil municipal, qu’à la demande de l’intéressé, on retirait ses indemnités de maire-adjoint à Olivier Ferrand. Elles s’élevaient à 513 euros et à 1 200 euros par mois à la communauté de communes. Une élue de l’opposition, Marie-Hélène Razes, demanda au maire si l’élu, tout le temps absent, ne pourrait pas être remplacé. René Olive lui répondit que le retrait des indemnités n’avait rien à voir avec une démission et qu’Olivier Ferrand conserverait son poste d’adjoint. Le maire a ajouté qu’il s’entretenait régulièrement avec Olivier Ferrand. René Olive et d’autres sources nous ont précisé qu’Olivier Ferrand avait, grâce à ses relations, rendu des services à la commune.
On ne peut que profondément regretter cette rencontre manquée entre notre département et Olivier Ferrand.
Si sa trajectoire ne s’était pas brutalement interrompue le 30 juin 2012, Olivier Ferrand aurait sans doute poursuivi sa carrière en devenant ministre et il aurait pu penser à la plus haute fonction. C’était un homme d’une intelligence et d’un talent exceptionnels.