Pierre Becque : « Dans cinq ans la Catalogne peut être la Suisse du sud de l’Europe ! »

Interview de Pierre Becque, co-fondateur de l’association Les amis de la Catalogne.

Vous étiez à Barcelone à la grande manifestation du 11 septembre où une foule immense a défilé derrière une banderole unique, « Catalogne, nouvel état d’Europe ».

Pierre Becque : J’étais à cette manifestation où il y avait une masse de gens impressionnante. Un million et demi de participants d’après la police. La police catalane d’accord, mais quand même d’après la police. Le Passeig de Gracia était plein de bas en haut, il fait 3 kilomètres. C’est considérable, ça représente à peu près 20% de la population de la Catalogne qui est de 7,5 millions et demi de personnes. Autre élément remarquable, c’est la sérénité de la manifestation. Pas un incident. Ce qui est un signe de maturité démocratique.

Comment expliquez-vous l’évolution de l’opinion catalane ?

Pierre Becque : Il est important de souligner que désormais les milieux économiques de Catalogne sont déterminés. Ils considèrent qu’ils sont en Espagne la région moteur de l’Europe. Ils se plaignent d’un défaut d’investissement public de l’Espagne qui cause un grave préjudice. Pour citer quelques exemples significatifs. Il y a le TGV qui n’est toujours pas raccordé à la France. Les lignes aériennes transatlantiques qui sont pour l’Espagne très importantes ne peuvent pas se poser directement à Barcelone. Autre exemple, les chinois ont créé un terminal de containers à Barcelone, c’est un investissement colossal de plusieurs milliards. Le raccordement entre ce terminal et la voie ferrée n’est toujours pas fait. La ministre de l’écologie espagnole vient d’annoncer qu’il fallait recommencer l’enquête publique parce qu’elle datait de plus de cinq ans. Je passe sur toutes les infrastructures où il y a des problèmes. Des freins qui ne dénotent pas une volonté de permettre le développement économique de la Catalogne. Le monde économique considère que la Catalogne risque de perdre son rang dans l’économie européenne et dans l’économie mondiale. Les chambres de commerce, les fédérations professionnelles, beaucoup de structure ont basculé du côté de l’indépendantisme.

Et sur le plan politique la situation a-t-elle aussi évolué ?

Pierre Becque : Le parti au pouvoir a été réélu sur la renégociation du pacte fiscal avec Madrid. Mais comme il s’est heurté à une fin de non recevoir, Artur Mas adopte une position qui me semble courageuse. A mi-mandat, il provoque des élections anticipées. Même si les sondages lui permettent d’envisager une issue favorable, c’est quand même courageux. Et le débat pour les élections du 25 novembre porte sur la question pour ou contre une démarche d’autodétermination au sein de l’Europe.

En quoi sommes-nous concernés par ce processus ?

Pierre Becque : Nous allons forcément en ressentir les conséquences. Je ne sais pas si elles ne seront que positives. Partons d’un constant géographique simple. La Catalogne, si elle est indépendante, aura une frontière au sud et à l’ouest, qui sera une frontière peut-être pas hostile, mais réticente dans un premier temps. Et la seule autre frontière qu’elle ait, c’est avec nous. La Catalogne va davantage se tourner vers nous. Et je crains qu’ici on n’y soit pas préparé.

C’est donc pour que l’on se prépare à ce changement que vous et vos amis vous allez créer une association ?

Pierre Becque : Pour nous, c’est-à-dire au départ un groupe de personnes qui sont impliquées dans le monde économique et qui sont attachés à ces notions catalanes, l’idée c’est de constituer une association pour faire, je n’aime pas le terme de lobbying, de l’explication, de l’information et de mener une réflexion afin de savoir comment on va aborder cette nouvelle situation. Si ce pays se crée, en tant que pays, on a déjà un certain nombre de liens privilégiés, on sera directement concerné.

Pensez-vous que l’indépendance de la Catalogne puisse sur le plan économique présenter de l’intérêt pour nous ?

Pierre Becque : Quand Saint-Charles a été créé, c’était le point d’accès pour les produits espagnols à la Communauté Européenne. C’était un passage obligé, pour dédouaner, il fallait passer par ici. Quand l’Espagne est rentrée dans le Marché Commun on aurait pu imaginer que Saint-Charles disparaitrait puisque on n’avait plus besoin de cet accès douanier. Hors Saint-Charles est resté parce qu’il avait acqui un savoir-faire. La transposition de cet exemple peut se faire dans d’autres domaines. Dans mon domaine professionnel, je vends de la proximité et du savoir faire français qui m’amène à intervenir partout en France pour des entreprises espagnoles. Ce qui existe dans le domaine du conseil, comptable, juridique ou para juridique, on peut le faire dans d’autres secteurs.

Il y a des domaines où nous avons un désavantage concurrentiel, comme dans le bâtiment ?

Pierre Becque : Il n’est pas du tout certain que ce soit totalement négatif. Les entreprises de bâtiment espagnoles ne vont pas se contenter d’avoir une activité dans le département des Pyrénées-Orientales, on peut être des interfaces dans des partenariats pour accompagner des entreprises catalanes sur le marché français. Il y a longtemps que je pense que l’on devrait être des interfaces utiles pour aborder les marchés d’Afrique du nord. Là aussi il y a une question de culture et de langue française qui peuvent nous permettre d’apporter un plus à des entreprises catalanes qui auraient des ambitions dans ces pays.

Vous constituez donc une association ouverte à tous ceux qui veulent débattre de ces sujets ?

Pierre Becque : C’est une association loi 1901 dans laquelle tout le monde sera le bienvenu. Ça n’est pas un parti politique et, pour s’assurer d’une relative autonomie, nous avons décidé d’inscrire dans les statuts que des élus politiques en cours de mandat ne pourraient pas faire partie du bureau de l’association.

Comment s’appellera cette association ?

Pierre Becque : Elle s’appellera Les amis de la Catalogne, en sous titre en catalan, Els amics de Catalunya. Première étape mercredi 24 octobre à 18h30 pour une réunion avec les membres fondateurs, Raymond Brunet de l’UPE, Fabien Cantagrill, commerçant dans les produits identitaires et d’autres. La réunion se tiendra dans les locaux du stade aimé Giral, où il y a une grande salle. Je dis bien du stade Aimé Giral et pas de l’USAP. Je tiens à ce qu’on le dise. Ce n’est pas l’USAP qui s’engage. Notre volonté est que vienne le plus de monde possible pour expliquer le sens de la démarche et que s’y exprime toutes les réflexions y compris celles qui pourraient être critiques. Je ne serais pas du tout hostile à ce que Jean-Jacques Planes (président de la fédération du bâtiment des P-O.) vienne nous dire ce qu’il en pense. S’il vient je sais ce que je pourrais lui répondre. Dans la lutte contre la THT il a su trouver les relais au sud. Il peut y avoir des synergies, même si parfois il y a des concurrences.

Revenons à l’éventualité d’une indépendance de la Catalogne, les obstacles institutionnels et politiques ne manqueront pas ?

Pierre Becque : Il y a, selon les sondages, une estimation de 65% de votes favorables. C’est beaucoup, surtout que l’échéance du référendum n’est pas là. Même si un tel référendum peut être organisé, il y aura ensuite l’étape européenne avec deux écueils. Le premier est institutionnel. Pour créer un nouvel état au sein de l’Union Européenne il faut l’unanimité des pays membres. Ce n’est pas gagné du côté espagnol, ce n’est pas gagné du côté français et de son jacobinisme. M. Valls, né à Barcelone, ministre de l’intérieur de la France, quand il est venu ici il n’a pas voulu parler catalan alors qu’il est né à Barcelone et qu’il le parle couramment, j’en suis sûr. Dans ce débat, notre association peut servir à expliquer le sens réel de la démarche et à sensibiliser les élus politiques ici, en Midi-Pyrénées et ailleurs. Au Sud, ils ont des relais à Bruxelles à Strasbourg, ils ont des parlementaires européens.

Le deuxième obstacle c’est que l’indépendance de la Catalogne affaiblirait fortement l’économie de l’Espagne ?

Pierre Becque : Cette deuxième difficulté est la plus lourde. Même si l’on peut imaginer qu’il y ait dans un premier temps des péréquations financières, l’économie espagnole s’en ressentira assez fortement. On peut craindre que l’Union Européenne se montre réticente à appauvrir un état du sud de l’Europe aux confins du Maghreb. On a déjà bien du souci avec la Grèce, la perspective d’un problème équivalent avec l’Espagne va, j’en suis certain, beaucoup préoccuper l’Union Européenne.

Vous êtes quand même optimiste ?

Pierre Becque : Je suis persuadé que l’on vit là une étape fondamentale et sans retour de la création réelle d’une union européenne. C’est un des premiers exemples de démarche totalement pacifique en vue de la création d’un état qui corresponde à une identité culturelle s’appuyant sur un territoire, sur une économie, sur une langue dans un cadre européen. Si cet exemple tendait à se multiplier ça peut être un pas décisif pour la constitution de l’Europe car l’on sortirait du schéma des états nations qui se sont constitués sur une base militaire.

Un autre type d’état nation car la Catalogne reste dans l’idée d’un état nation.

Pierre Becque : C’est sur une identité, une communauté culturelle au sein de l’Europe. Et je pense que ça peut faire prendre un virage à l’Union européenne parce que chaque fois qu’il y a une crise les états ont tendance à se replier sur eux-mêmes.

L’action de votre association se situe donc clairement dans la perspective d’une Catalogne indépendante ?

Pierre Becque : Si la Catalogne obtient son indépendance sous une forme ou sous une autre son développement économique et par voie de conséquence son développement culturel et social va être important et dans cinq ans la Catalogne peut être la Suisse du sud l’Europe. Elle a un excellent réseau de communication maritime, aérien et terrestre. Il y aura une stabilité démocratique qui permettra de rassurer les investisseurs. Et puis surtout il y a une tradition industrielle qui remonte au moyen-âge. Le fait que les Japonais, il y a quinze ou vingt ans et maintenant les Chinois aient choisi cet endroit pour investir en Europe, c’est quand même tout à fait significatif de la confiance que les grands investisseurs mondiaux peuvent avoir dans ce pays. Pour nous ici, habiter à côté de quelque chose qui ressemblera à la Suisse me parait positif. Les Français qui vivent près de la frontière Suisse ne s’en plaignent pas. C’est à nous d’essayer d’imaginer des solutions qui puissent nous intégrer d’une façon ou d’une autre. Je ne rêve pas, je ne dis pas que demain il faut que l’on devienne catalan. Mais au moins qu’on soit préparé à jouer un rôle d’interface pour absorber les bénéfices de cette opération.